Agir contre l’invisibilisation croissante des lesbiennes ? Samedi 8 novembre 2003 - 15e festival Quand les lesbiennes se font du cinéma Ce débat a été organisé à la demande de Marie-Hélène Bourcier qui proposait de faire un point après la discussion organisée au 14e festival Quand les lesbiennes se font du cinéma, sur les relations entre les institutions françaises et les associations lesbiennes. En présence de :
«
L’invisibilisation des lesbiennes dans l’espace public
(les médias, la sphère intellectuelle…) n’est
pas nouvelle. Mais elle se renforce avec l’émergence
d’une politique gaie-centrée et la montée en puissance
d’une identité gaie hégémonique. Elle prend
de nouvelles formes : les mises à l’écart perdurent,
les injures pleuvent en cas de critique et l’on assiste depuis
peu à des formes d’exclusion et de censure « positives
» qui consistent à remplir le L de lgbt de manière
homéopathique, restreinte et inadéquate. On oubliait
les lesbiennes, on parle désormais à leur place. L’exclusion
des lesbiennes du projet du centre d’archives de la Ville de
Paris, l’effacement de pans entiers des cultures lesbiennes
dans le dictionnaire des cultures gays et lesbiennes paru chez Larousse,
l’absence des lesbiennes dans la presse gaie, le procès
qu’intente le magazine Têtu à une lesbienne militante,
autant d’épisodes récents qui nous permettent
de faire le point. Faut-il réagir ? Avec quels moyens d’action
? Le séparatisme est-il la solution ? La solidarité
lesbienne existe-t-elle ? » Cineffable expose l’état de ses démarches auprès de la Mairie de Paris pour obtenir une subvention (15 000 euros accordés). Pour Cineffable, il s’agit avant tout d’une opération de visibilité, et de faire accepter l’intérêt et la nécessité des événements lesbiens non-mixtes. Quelles qu’en soient les raisons, les ¾ des initiatives lesbiennes en France sont non-mixtes. C’est une réalité. Cineffable n’est pas la seule association lesbienne en contact avec la Mairie de Paris et espère que la subvention accordée permettra de préparer le terrain pour les autres. Pour
certaines autres militantes et intellectuelles lesbiennes, en revanche,
l’année a été rude. Marie-Hélène
Bourcier, membre d’Archilesb ! a alerté l’opinion
publique sur l’invisibilisation des lesbiennes dans le projet
de Centre d’archives des homosexualités dirigé
par Jean Le Bitoux et a dû faire face à une véritable
levée de bouclier. Comme Geneviève Pastre, éditrice,
elle a également dénoncé l’exclusion de
certaines chercheuses et auteures lesbiennes réputées
du Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, dirigé par
Didier Eribon, publié chez Larousse cette année. La
réponse calomnieuse de Didier Eribon sur le site de Têtu
(voir ci-joint) a déclenché un mouvement de protestation.
Un communiqué de Geneviève Pastre a été
lu pendant la discussion (voir
communiqué) Certaines participantes dans le public sont d’avis que le « gay et lesbien » apporte une légitimité parce que cette mixité ressemble à de l’hétérosexualité. Les gays organisent donc du « gay et lesbien » mais en ne se servant du « lesbien » que pour la forme. Pour Anne Rambach, les lesbiennes se tiennent encore trop loin des sphères du pouvoir. Anne et Marine Rambach n’ont pas hésité à « flirter avec le pouvoir », quitte à faire quelques concessions pour arriver à leurs fins, ce qui s’est révélé très positif. Comme le fait remarquer une organisatrice de Cineffable, malgré tous nos efforts, les événements lesbiens sont bien souvent ignorés quand ils ne sont pas méprisés, notamment dans la presse. On a beau soigner sa communication, on se heurte toujours au rapport d’oppression hommes/femmes. Anne Rambach raconte à ce propos qu’elle a dû lutter pour imposer le mot « lesbienne » dans le titre de son essai. Sa maison d’édition estimait en effet que ce mot ne voulait rien dire et ne renvoyait à aucune réalité concrète. Pour une personne du public, les gays ont su exploiter le mot « gay », et en ont fait un terme très positif pour donner d’eux une bonne image. Mais d’autres sont d’avis que, quel que soit le nom utilisé, la lesbophobie resterait la même. Le militantisme prend un nouveau visage grâce à la généralisation des moyens informatiques, PAO, Internet… Cela n’implique pas de se « compromettre », de devenir commercial. On peut se donner les moyens financiers d’organiser un événement ambitieux tout en restant très militantes. Les lesbiennes hésitent à se montrer dans les médias parce qu’il est difficile de contrôler son image, mais certaines pensent que l’essentiel est de se rendre visibles. Anne et Marine Rambach ont suivi des stages de communication destinés aux personnes en relation avec les médias. D’après A. Rambach, il faut apprendre les techniques de communication pour savoir répondre aux questions pièges et ainsi maîtriser son image. Une personne du public évoque la Marche lesbienne, organisée la veille de la Marche des Fiertés LGBT, qui mériterait, selon elle, une meilleure communication. L’idée est lancée d’organiser des stages de communication avec les médias. Maryse
Lourmière constate qu’après des années
de militance commune avec les féministes hétéros
et les gays, les lesbiennes se sont retrouvées niées
en tant que lesbiennes dans le mouvement féministe et en tant
que femme avec les gays. Elles doivent à présent se
regrouper. Sur la différence entre action individuelle et action
collective, abordée par le public, l’importance des luttes
collectives a été réaffirmée. Si l’on
peut se dire « lesbienne » aujourd’hui, c’est
grâce aux mouvements collectifs. La conscience collective nourrit
la conscience individuelle. Beaucoup de lesbiennes, face à
des circonstances difficiles, ne vivent pas encore leur lesbianisme
ouvertement et vont chercher des forces dans les groupes. Il y a complémentarité
entre ce que chacune fait de son côté pour exister en
tant que lesbienne et ce que nous pouvons faire ensemble. Plus on
est visibles dans différentes parties de la société,
plus cela peut avoir une action globale. Maryse Lourmière évoque la dynamique des réseaux qui sont en train de se constituer, par exemple celui de lesbiennes artistes, initié à Nancy par, entre autres, la danseuse Hélène Marquié. Il existe deux raisons à l’invisibilité. La première vient de notre difficulté à utiliser les techniques de communication et à nous imposer dans le domaine militant comme professionnel, et la seconde, plus difficile à maîtriser, est due à une misogynie et à une lesbophobie encore très vivaces. Nous faisons face à une invisibilisation systématique et persistante dans tous les secteurs de la société. Pour la battre en brèche, nous devons rester vigilantes aussi bien dans le domaine militant, privé que commercial. Développer et multiplier les initiatives, les événements, tout en restant solidaires. Une initiative n’en empêche pas une autre, tout peut co-exister, tout s’enrichit et donne de la force, tout peut concourir à diffuser la culture lesbienne.
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