FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM
LESBIEN ET FÉMINISTE DE PARIS
Quand les lesbiennes se font du cinéma
Ce débat était en relation avec la projection du film Perverted Justice de Donna Clark, qui analyse les arguments utilisés contre des femmes accusées de meurtre. Afin de convaincre les jurés que ces femmes "méritent" la peine de mort, l'accusation les déshumanise en les accusant d'être lesbiennes.
Deux intervenantes extérieures ont participé au débat :
Natacha Chetcuti qui a écrit Espace lesbien en prison (à paraître) à partir d'une enquête sociologique qu'elle a menée auprès d'une dizaine de femmes ex-détenues et de surveillantes,
Marianne Schultz, juriste, qui a publié l'article "Lesbiennes, les silences du droit", dans Les Temps Modernes (mars-avril 1998).
Natacha fait part de la pauvreté des recherches sur l'espace carcéral et les femmes et de la difficulté de rencontrer des lesbiennes ayant fait de la prison. Elle a mené ses entretiens avec des ex-détenues, dont seulement deux se disaient lesbiennes. Elles étaient d'ailleurs en couple.
Natacha présente la situation des femmes en prison. Elle constate que la sexualité lesbienne en prison n'est pas reconnue. Les détenues hétéros qui ont des rapports entre elles ne les disent pas lesbiens. Elles vivent cette sexualité comme un substitut à la sexualité hétéro. Par contre, le couple de lesbiennes incarcérées ensemble n'a pas eu de rapports sexuels, lespace carcéral inhibant leur sexualité.
Natacha fait le constat de la reproduction dans l'univers carcéral de l'hétérosexisme de l'univers extérieur et parle de lesbophobie sous couvert de tolérance dans cette négation du lesbianisme.
Cette négation se retrouve dans les textes (droit pénal, actes de procès, etc.). Marianne s'est intéressée aux divergences entre le traitement juridique des homosexualités féminine et masculine et aux conséquences que cela entraîne dans le positionnement des lesbiennes. Elle constate que les textes sanctionnent surtout l'homosexualité masculine. Cette divergence se retrouve dans le contentieux familial ou la garde des enfants, qui sont a priori plus favorables aux femmes. La maternité étant mise en valeur, l'homosexualité de la mère sera occultée (donc niée). Ce qui semble être une "non discrimination" envers les lesbiennes n'est qu'en fait une autre forme de discrimination.
Marianne explique ensuite que dans le droit pénal, le texte contre les discriminations ne s'applique qu'au champ patrimonial (refus de biens ou de services) et non extra patrimonial. Une lesbienne peut porter plainte parce qu'un appartement lui a été refusé et non parce que la garde de son enfant lui a été refusée. En France, où la neutralité du droit prime, le lesbianisme d'une victime de viol n'est pas un argument recevable. Constat encore de la négation du lesbianisme.
Enfin, Marianne explique en quoi le débat politique sur la visibilité est un débat tronqué car il se focalise sur la disparition pénale des discriminations alors qu'il n'y a pas d'article antidiscriminatoire dans la loi française. Il n'y a pas de liberté fondamentale à la libre disposition de son corps ou à la liberté sexuelle. Les instruments de la liberté sexuelle sont aujourd'hui reconnus mais pas les principes.
Par contre, dans Perverted Justice, le lesbianisme est invoqué pour condamner. Un stéréotype de "la lesbienne" est utilisé pour déshumaniser les femmes accusées de meurtre. La société ne peut concevoir la violence des femmes que si ces dernières ne sont plus des femmes mais "des hommes". Une fois masculinisées, elles doivent être condamnées à mort.
Conclusion :
« Les hommes devraient payer plus d'impôts... car ils sont plus nombreux en prison ! » (sic)
Constat qu'en France, le lesbianisme est nié dans l'espace carcéral et dans le droit et qu'aux États-Unis, il est utilisé comme argument pour condamner. L'absence de discrimination ouverte ne signifie pas "non discrimination". La négation et la "mise en avant" du lesbianisme renvoient aux questions de visibilité et d'invisibilité des lesbiennes. L'invisibilité est un signe de négation du lesbianisme donc de discrimination. La lesbophobie adopte en fait des formes très diverses. Nous devons rester vigilantes et continuer à lutter.