FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM
LESBIEN ET FÉMINISTE DE PARIS
Quand les lesbiennes se font du cinéma
Avec la participation de Nicole Bonnin qui organise des ateliers sur la violence entre lesbiennes depuis trois ans, notamment pendant les rencontres de la Coordination Lesbienne Nationale, et Vanessa Watremez qui a réalisé un mémoire de DESS à Toulouse sur la violence domestique dans les relations lesbiennes et a suivi un atelier au Québec qui s'adresse aux lesbiennes victimes de violence conjugale. Elle a travaillé également à la mise en place d'un groupe d'intervention pour lesbiennes actrices de violence. Vanessa Watremez et Nicole Bonnin ont réalisé un dépliant qui propose des ateliers pour continuer à réfléchir sur ce thème.
Il s'agit du deuxième atelier sur les violences organisé au festival après celui de l'année 2000 qui avait été suivi par un nombre important de participantes. Comme l'année dernière, cet atelier fait écho à deux films projetés pendant le festival : Rancour de Karen Earl et Helpless Maiden Makes an 'I' Statement de Thirza Jean Cuthand, qui abordent ce thème.
La violence existe entre les lesbiennes comme chez les hétéros. Mais contrairement aux hétéros, les lesbiennes n'ont pas d'associations qui peuvent les écouter, les soutenir et les aider. Donc il était très important d'organiser un nouvel atelier-discussion au festival où chacune pourrait réfléchir sur ce sujet.
Le GIVCL
Au printemps et durant l'été 2001, Vanessa Watremez a rencontré à Montréal le GIVCL, Groupe d'Intervention en Violence Conjugale chez les Lesbiennes, le seul organisme dans son genre à être reconnu par le gouvernement et à bénéficier de deux financements nationaux. Six lesbiennes sont à l'origine de ce groupe fondé en 95 pour réfléchir aux violences dans les relations lesbiennes. Elles ont publié, dans un premier temps, des articles dans un magazine lesbien de Montréal.
Dès 97, elles mettaient en place des formations spécifiques pour les lesbiennes dans les centres d'hébergement pour femmes hétéros victimes de violences, lieux qui accueillent aussi des lesbiennes. Elles regrettaient que les documents ne s'adressent qu'aux couples hétéros et ne soient pas adaptés aux lesbiennes. L'utilisation du « il » obligeait les lesbiennes à spécifier leur sexualité, ce qui est un frein à la discussion.
Ces formations sont accessibles aux universitaires, aux travailleurs sociaux, aux policiers qui peuvent être amenés à rencontrer des lesbiennes victimes de violence. À Montréal, quand une victime ne porte pas plainte, la police le fait. Quand il s'agit d'un couple lesbien, les policiers n'arrivent pas à faire la distinction entre agresseuse et agressée parce que les deux ont souvent eu recours à la violence. Elles sont donc accusées toutes les deux, ce qui est un acte de violence supplémentaire.
En 97, les premiers groupes de soutien-ateliers pour lesbiennes victimes de violence conjugale ont démarré, dans le but de permettre aux lesbiennes qui y assistent d'analyser cette violence, de reconnaître ses conséquences sur leur vie et de faire une démarche pour retrouver un certain bien-être. Leur approche est plus féministe que psychanalytique. Elles analysent les causes sociales mais essaient aussi d'amener les intervenantes à recentrer la discussion et la réflexion sur elles-mêmes. Ce groupe a également mis en place un numéro pour les lesbiennes victimes de violence, pour les aider et éventuellement leur proposer d'intégrer le groupe de soutien.
Comment reconnaître la violence ?
Certaines lesbiennes disent avoir du mal à cerner les limites de la violence. Comment savoir si ce que l'on vit est acceptable ou non ? Les violences physiques sont assez claires et il ne faut rien tolérer. Un coup, c'est trop. Les violences psychologiques sont plus subtiles, peut-être parce qu'on ne les voit pas venir. On doit pourtant pouvoir distinguer une pointe de jalousie du harcèlement, de la pression, de l'humiliation, de la dévalorisation. Quand, dans une relation, on est obligée de se justifier sans cesse, les limites sont dépassées. Une femme parle de la violence des silences, de la non-écoute, du déni, de la non-reconnaissance de soi. Dans une relation, on peut avoir l'impression de ne pas exister tout comme les lesbiennes en général dans la société.
La violence est une spirale, elle intervient de plus en plus souvent et devient de plus en plus forte. C'est un cycle : il y a une période où l'on vit la violence puis un moment de rémission et des excuses. Ensuite on assiste à une période que l'on peut appeler « lune de miel » où tout est merveilleux dans la relation. Puis le cycle reprend.
Il faut du temps pour définir cette relation comme violente et savoir comment réagir. On reconnaît chez l'autre des qualités, on l'aime et on ne peut pas partir. Le poids de la culpabilité est énorme. On n'accepte pas que la relation puisse être violente. Mais si on prend du recul suffisamment tôt, on peut s'en sortir. La particularité pour un couple lesbien est qu'il est déjà tellement difficile d'être lesbienne et de se faire accepter, qu'il devient pratiquement impossible de s'avouer que son couple ne marche pas convenablement.
Comment expliquer ?
Y'a-t-il une différence hétéro/homo ou est-ce plutôt la question du couple qui se pose ? Le phénomène est le même mais les explications sont différentes. Chez les hétéros, on parle de domination masculine. Chez les lesbiennes, le contexte est différent. Il semble paradoxal que deux femmes puissent être violentes entre elles. Est-ce que les lesbiennes reproduisent malgré elles des schémas hétéros puisque c'est le seul modèle qu'elles ont ? Sont-ce les violences sociales qui sont reproduites ? Il est certain que les lesbiennes subissent une influence, une pression du concept hétérosocial construit en couple fusionnel et fidèle. On s'interroge. Beaucoup de préjugés restent à déconstruire. Ne serait-ce pas plutôt la relation amoureuse qui génère de la violence ?
Profils ?
Il n'y a pas de profil de femmes victimes parce que la victime ne déclenche rien. C'est celle qui agresse qui considère sa partenaire comme un objet, quelle que soit l'attitude de la victime, et qui reproduira cette violence avec ses partenaires suivantes. Certaines participantes reviennent sur la souffrance de la victime. Nous écoutons le témoignage d'une femme qui a subi des violences dans son couple, s'en est rendu compte grâce à une psychothérapie et a décidé de refuser. Alors sa partenaire n'a plus pu l'atteindre.
Les victimes doivent réfléchir aussi, mettre à plat ce qu'elles vivent. Il est nécessaire de ne rien oublier et tirer des enseignements de son expérience pour ne pas retomber dans le même piège, et pouvoir aussi aider des amies. Y'a-t-il un profil de lesbienne violente, et comment aider quelqu'un de violent ?
Y'a-t-il des gens plus enclins que d'autres à la violence ? Peut-on prévenir ce genre de choses ? Personne n'est d'accord. Est-ce qu'il s'agit toujours d'une personne qui a subi des violences dans la petite enfance ? Souvent c'est le cas. Mais cette attribution causale ne marche que dans un seul sens. On ne peut pas dire qu'une personne qui a subi de la violence va devenir automatiquement un agresseur. Donc il n'y a pas de fatalité, ni de destinée.
Interaction ? La force de la culpabilité...
On se demande d'où vient la violence. Il faut y réfléchir en se centrant sur soi, au lieu de faire des procès d'intention à l'autre. Certaines femmes parlent de co-responsabilité même si rien n'excuse la violence. Est-ce que l'on dit des choses qui touchent l'autre à un point sensible ?
Est-ce qu'on fait mal d'une certaine façon ? Elles disent vouloir donner du pouvoir à la victime qui aurait ainsi un rôle à jouer dans la relation et qui pourrait changer son comportement pour agir sur la violence de sa partenaire. Certaines insistent sur une alternance violente/victime : on peut passer d'un rôle à l'autre. Une victime peut se retrouver dans une position d'agresseuse.
D'autres ne sont pas d'accord avec cette analyse car dans une relation violente, il y a toujours une agresseuse et une victime. La victime peut aussi utiliser la violence mais en terme d'auto-défense. La nuance est énorme. Il faut faire attention à ne pas faire culpabiliser les victimes qui peuvent répondre à des coups. Certaines réflexions peuvent donner lieu à un glissement dangereux. Beaucoup de participantes victimes expriment une grande culpabilité. Or on souffre toutes et on n'a pas à faire subir une souffrance à notre tour.
On peut comprendre mais pas excuser et accepter. La seule responsabilité de la victime est de rester dans la relation sans se protéger. Ce n'est pas le comportement de la victime qui induit la violence ni un changement de ses propres réactions qui y mettra fin. On ne peut jamais sauver l'autre et on n'a pas à souffrir.
Au Québec, le GIVCL pose une série de questions pour pouvoir distinguer l'agresseuse de l'agressée. D'une manière générale, celle qui est violente ne culpabilise jamais et se présente comme victime. Tandis que la victime a tendance à culpabiliser, et à se remettre en question.
C'est un phénomène de répétition qu'il faut casser sinon l'agresseuse rencontrera une autre femme et recommencera.
Aider une amie
L'isolement favorise la violence. Il faut admettre la violence chez les lesbiennes, admettre que ce n'est pas un phénomène rare, pour pouvoir écouter et soutenir une amie qui se confie. Il faut se sensibiliser et savoir l'entendre. Il faut aussi savoir comprendre les lesbiennes violentes, leur parler sans les considérer comme des monstres, les aider à sortir de l'isolement pour qu'elles puissent parler.
Si quelqu'un estime être victime de violence, il faut la croire. Quand on recueille un témoignage, en tant qu'amie, il est important de dire ce qu'on ressent en restant simple et surtout sans faire de reproches. Comment aider une lesbienne violente ? Il faut l'amener à amorcer une démarche personnelle, éventuellement l'aider à rencontrer un(e) psychologue, mais il sera peut-être difficile de la convaincre. Les femmes agresseuses se considèrent rarement comme violentes, elles pensent que c'est l'autre qui déclenche cette situation.
On a le droit et le devoir de sauver sa peau. Même s'il est difficile d'envisager une rupture, il faut avant tout penser à soi. Il ne faut surtout pas culpabiliser. Il faut chercher de l'aide, ne pas rester seule, parce que ne communiquer qu'avec sa partenaire ne peut en aucun cas tout résoudre.
Il faut signaler qu'à la suite de cette discussion, un groupe de recherche et d'expression destiné aux lesbiennes victimes de violences conjugales s'est créé, avec des rendez-vous tout au long de l'année 2002, grâce à l'initiative de Nicole Bonnin et Vanessa Watremez.